Dans ma nature  

Les grands-mères solaires illuminant un village

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Désormais, le soleil du jour écoulé éclaire aussi la nuit. Maison éclairée à l’énergie solaire sous le ciel étoilé malgache.Désormais, le soleil du jour écoulé éclaire aussi la nuit. Maison éclairée à l’énergie solaire sous le ciel étoilé malgache.

Sept grand mères Malagasy ont été formées en Inde pour devenir des techniciennes solaires, afin d’aider à prévenir l’exploitation forestière pour du bois de chauffe et pour réduire la culture sur brûlis,une activité très dévastatrice. Et apprennent enfin à lire.

Texte: Martina Lippuner / Photos: Louise Jasper

Lydia introduit avec précaution le fil dans la lampe solaire et pose la pointe du fer à souder brûlant sur l’emplacement. Ensuite, la grand-mère de 45 ans replace l’instrument sur son support et regarde par-dessus ses lunettes de lecture: «Il y a trois ans, je ne savais ni où se situe l’Inde, ni ce qu’est l’énergie solaire», confie-t-elle.

Lydia vient de Iavomanitra, un hameau de 240 habitations situé sur les plateaux centraux de Madagascar. Il compte parmi les derniers points chauds de biodiversité sur la Terre et le WWF y travaille depuis dix ans, car la forêt tropicale malgache débute aux portes de ce village. Elle abrite des lémuriens et des caméléons uniques au monde. Malheureusement, la forêt y est défrichée, notamment pour la production de bois de feu. Prévoir un accès à des énergies propres et renouvelables joue donc un rôle essentiel pour la préserver. Le WWF innove à Madagascar, par exemple avec les «grands-mères solaires».

Sept grand mères Malagasy, techniciennes solaires, sont devenues les emblèmes d’un avenir meilleur. Click To Tweet

Lydia et six de ses amies ont été les premières Malgaches à se voir décerner le titre de techniciennes solaires sans diplôme de fin d’études. Toutes ont des petits-enfants, aucune ne sait lire ni écrire. Début 2013, elles se sont envolées pour l’Inde avec leurs passeports flambant neufs, où elles ont suivi six mois durant une formation appliquée de technique solaire au Barefoot College de Tilonia, dans l’Etat du Rajasthan.

AIDE-TOI TOI-MÊME

Le «Barefoot College», financé par l’Etat indien, veut permettre aux populations pauvres à assumer elles-mêmes un avenir meilleur pour leur village. Le principe est simple: on y forme les personnes les plus pauvres et disposant du moins de droits d’un village, souvent des femmes. Elles apprennent ainsi à installer et réparer des pompes à eau ou des systèmes solaires simples, sans dépendre d’une aide extérieure.

La tâche n’est pas toujours aisée: mais le fondateur du Barefoot College, Bunker Roy, cite Gandhi: «D’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, ensuite ils vous combattent et, enfin, vous gagnez.»

Toutes ont déjà des petits-enfants, aucune n’avait quitté sa région avant le voyage pour l’Inde: les sept grands-mères solaires.Toutes ont déjà des petits-enfants, aucune n’avait quitté sa région avant le voyage pour l’Inde: les sept grands-mères solaires.

Sept autres groupes de femmes d’autres nations y étaient également présentes: des Colombiennes, des Comoriennes et des Tanzaniennes. Leurs familles leurs manquaient cruellement, mais toutes étaient conscientes que l’opportunité était unique. Se servant de langage des signes, de théâtres de marionnettes, de codes de couleurs et de nombreuses répétitions, un enseignant leur a appris l’essentiel afin d’apporter le courant dans leurs villages. Elles y ont appris à souder et à installer des panneaux solaires.

De retour sur la Grande Ile, elles ont d’abord dû patienter. Ce n’est en effet qu’après six mois supplémentaires que les cartons d’équipement solaire offert par le WWF sont parvenus à Iavomanitra, par taxi-brousse, en 4×4, en pirogue et à dos d’homme. Les grands-mères solaires se sont mises au travail sans perdre un instant. Elles ont installé batteries, régulateurs et lampes LED dans toutes les maisons. Seuls les panneaux solaires ont dû être installés par d’autres: «Une dame de notre âge n’a rien à faire sur un toit, dit Lydia en riant. Nous avons des hommes auxquels nous pouvons donner des instructions depuis en bas!»

Nul besoin de formation scolaire pour électrifier un village. Lydia (à droite) a appris le métier par la langue des signes et au moyen d’un théâtre de marionnettes.Nul besoin de formation scolaire pour électrifier un village. Lydia (à droite) a appris le métier par la langue des signes et au moyen d’un théâtre de marionnettes.

Et la lumière fut …

A peine trois mois plus tard, tous les ménages étaient électrifiés.  «Iavomanitra a été transfiguré», explique Voahirana Randriambola, responsable du programme énergie au WWF Madagascar: «Les effets positifs de notre travail sont vite perceptibles.» En effet: alors qu’il y a encore quelques mois le village s’endormait à peine la nuit tombée, les soirées sont désormais empreintes d’une activité frénétique. Assises autour de lanternes solaires, les femmes tressent des nattes de raphia qu’elles vendront au marché. Les enfants se bousculent autour des points lumineux pour faire leurs devoirs. Et l’école du soir pour les adultes a ouvert son premier cours dans le bâtiment communal.

Cette école du soir fait la grande fierté de Lydia. Elle avait dû abandonner les bancs de l’école après la seconde année car ses parents n’avaient plus les moyens de payer l’écolage. Ses enfants ont suivi le même parcours, puisqu’elle n’a pu en laisser aucun longtemps à l’école. «Mes petits-enfants devraient avoir plus de chance, c’est pourquoi je leur ai amené la lumière, dit-elle. Et je n’aurais jamais pensé qu’à mon âge, j’apprendrais encore à lire et à écrire à l’école du soir!», sourit Lydia en hochant la tête d’un air incrédule.

Davantage de temps pour les devoirs: même une fois la nuit tombée, les enfants peuvent continuer de travailler. Pour les adultes, des cours du soir sont organisés.Davantage de temps pour les devoirs: même une fois la nuit tombée, les enfants peuvent continuer de travailler. Pour les adultes, des cours du soir sont organisés.

Plusieurs choses ont changé depuis que ces sept courageuses femmes ont choisi de voyager vers des terres inconnues dont elles ne connaissaient pas la langue, pour acquérir de nouvelles compétences et retourner chez elles avec ces talents afin d’améliorer la vie de leurs communautés.  Les gens toussent moins depuis qu’ils ont arrété d’utiliser des lampes à pétrole chez eux, et la consomation de bois de chauffe a diminué de moitié.

Leur voyage ne fait sans doute que commencer. Après avoir vu les avantages que les grandmères ont amené à Iavomanitra et Tsaratanana, les communautés environnantes ont exprimé leur désir d’avoir eux aussi accès à l’énergie solaire. Le WWF étudie la manière d’appuyer les sept ingénieures solaires à partager leurs connaissances, leurs capacités et leur passion à d’autres villages, à travers des formations à d’autres femmes sur l’utilisation et la maintenance de lampes solaires portables.

Il y a peu, une «grand-mère solaire» s’est exprimée en public lors d’une fête locale; c’était la première fois qu’une femme parlait devant la commune. Aujourd’hui, les gardiennes de la lumière sont devenues les emblèmes d’un avenir meilleur.

Les lampes solaires permettent de réaliser un revenu supplémentaire. Le soir, ces femmes tressent des nattes en raphia, qu’elles vendront ensuite au marché.Les lampes solaires permettent de réaliser un revenu supplémentaire. Le soir, ces femmes tressent des nattes en raphia, qu’elles vendront ensuite au marché.

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